Colette avait le regard bas ce soir-là. Le regard bas de ceux qui savent qu’après, rien ne sera plus comme avant.
Le rendez-vous avait été pris quelques jours à l’avance. On avait choisi ensemble le dernier créneau de la journée afin d’être plus tranquille. Pour qu’elle n’aie à rencontrer personne lorsqu’elle sortirait en larmes de la salle de consultation. Pour avoir le temps aussi. On ne sait jamais combien de temps durent ces choses-là. Il y a le temps de l’acte médical et puis le temps de se dire au-revoir.
Ce que je savais par contre, presque à coup-sûr, c’était que de la bouche de Colette allait sortir cette phrase, mûrement réfléchie. Ces phrases qui font le regard bas.
« C’est mon dernier chien docteur. Je suis trop vieille maintenant. Vous comprenez, dans quinze ans… Et puis mes enfants ils ne voudront pas, je ne veux pas leur imposer ça».
Souvent la phrase s’arrêtait là. Mettant en suspens l’incertitude de son âge. Je comprenais la suite d’instinct car des Colette j’en ai rencontré tellement souvent. Et elles avaient toutes en commun cette petite phrase dans leur discours ou dans leurs yeux.
Immanquablement ces soirs-là, rentré chez moi, j’imaginais Colette seule face à sa télévision, la place vide à côté d’elle, le plaid encore chiffonné, à écouter battre le pouls du monde au travers d’un journal télévisé. Un monde qui se fout bien que Colette soit seule à présent parce que, justement, le présent, il n’y a que cela qui compte.
La plupart des gens ne s’imaginent pas à quel point un animal de compagnie est d’une importance cruciale pour une personne âgée, qui plus est, isolée. La plupart des gens rigolent en voyant le petit chien-chien à sa mèmère affublé d’un manteau ridicule. Il est vrai que souvent le manteau est ridicule mais sous le manteau il y a une raison de sortir. Une raison de parler. Parfois une raison de vivre. Alors le manteau… Franchement…
Voilà plus de deux ans que la ville de Cambrai a eu cette initiative pourtant simple mais si lourde de sens de prêter des chiens aux personnes âgées qui en manifestent l’envie. On dilue un peu de bonheur dans la vie d’une personne tout en désengorgeant les refuges. Tellement logique… Evidemment, on choisit le chien pour qu’il soit adapté au mode de vie de son adoptant. Un chien calme et affectueux sont les premiers critères. Evidemment rien n’est imposé.
De plus la ville de Cambrai est allé encore plus loin puisqu’elle promet de financer la nourriture pour les personnes n’en ayant pas les moyens. Le refuge quant à lui prend en charge les frais vétérinaires. Rappelons qu’une récente étude a confirmé le fait que posséder un animal de compagnie permettait de réduire jusqu’à 36% les risques de mortalité cardio-vasculaire en particulier chez les personnes vivant seules.
Le bonheur et la santé sans les contraintes, telle devrait être la vie de chacun de nos seniors.
Certains ne manqueront pas de s’offusquer qu’un animal de ne se prête pas. Dans le fond ils ont raison. Bien sûr. Mais dans ce cas précis, la syntaxe a bien peu d’importance. Dans ce cas précis la syntaxe permet simplement de libérer l’esprit des futurs adoptants en les déculpabilisant. Avoir la certitude que s’il leur arrivait quelque chose, le refuge reprendrait l’animal et peut-être aussi qu’il serait à nouveau adopté dans le même dispositif, ça n’a pas de prix dans la tête de Colette. Et pendant le temps qu’aura duré leur vie commune, autant Colette que Médor se moqueront bien de la syntaxe, tout occupés qu’ils seront à remplir leur vie de souvenirs communs. L’idée à déjà été reprise ici et là. J’espère qu’elle pourra grandir au plus vite.
Et puis, je vous avoue, je ne peux m’empêcher de penser que Tatie Danielle aurait été bien différente si elle avait eu un chien.